L’injonction au bonheur
Soyez heureux ! nous assènent pêle-mêle les magazines de plaisir facile, les stars montantes de l’ésotérisme nouveau, le sourire ravageur des mannequins sur les murs de la ville, les photos d’un couple rayonnant dans le dernier livre sur la grossesse parfaite… et même nos parents…
L’injonction à « être heureux » a-t-elle un sens ? Fait-elle avancer en quoi que ce soit ? Cette aspiration si contemporaine n’est-elle pas en réalité le lit de bien des souffrances ?
Nous avons tous•tes vécu un moment de joie, de plénitude, d’évidente simplicité dans notre enfance, dans la nature, avec une personne chère ou avec un animal.
Être heureux•se ; voilà quelque chose qui nous fait tous•tes rêver, et bien souvent, nous aimerions pouvoir reproduire ce moment magique, cet instant de grâce.
Alors, nous passons notre vie à chercher la personne idéale, les circonstances ou le lieu parfait, la recette imparable. Mais n’est-il pas vrai que plus nous cherchons à définir et recréer un moment de bonheur, plus il nous échappe et plus nous sommes malheureux•ses et frustré•es ?
La quête du bonheur ne peut apporter les réponse auxquelles nous aspirons car elle est paradoxalement pourvoyeuse de toujours plus de confusion et de peurs dans nos existences. Se cacher derrière de bonnes intentions, vivre dans un tel artifice pour échapper à nos souffrances ne peut créer une réalité différente de celle que nous tentons de fuir.
Le bonheur comme but, comme remède rêvé à notre mal-être, nous maintient dans un flot ininterrompu de questions biaisées et fort probablement nocives, parce que ce type de quête ne s’intéresse pas à la cause de notre trouble mais essaie juste de le faire taire. Un esprit confus cherchant le bonheur a peu de chance de formuler une question qui ait du sens et par conséquent de trouver une réponse juste. Il ne peut que compulsivement aspirer à une sorte de vérité, d’idéal, encore et toujours, sans relâche, sans fin, de manière insatiable tel un•e drogué•e, augmentant au fil du temps son anxiété et l’ampleur de sa perte de repères.
Dans ces conditions, l’injonction au bonheur et le diktat de la “pensée positive“, sans jamais chercher à comprendre la négativité inhérente à notre existence changeante, ne sont autre chose qu’une nouvelle croyance avec ses règles à suivre, ses devoirs, et les peurs de mal faire qui en découlent.
Alors, donc ? Si je ne vais pas bien, si je suis déprimé•e, moralement épuisé•e, si je me sens enfermé•e dans un cycle sans fin, je fais quoi ? Je me remémore un moment heureux ? Je me dis que ma souffrance à un sens dans l’ordre de l’Univers ? Je m’offre un voyage au bout du monde ou je m’inscris à un énième stage de développement personnel, en me disant qu’un jour je verrai le bout du tunnel ?
Aucun changement profond n’est à attendre de ce côté-là. Ne pouvons-nous donc voir que l’état de crise sous-jacent que nous vivons au quotidien est nourri de cette perpétuelle quête de solutions ? Ne pouvons-nous pas nous poser un moment, regarder, interroger et finalement comprendre en profondeur ce qui nous tourmente, à la racine ?
Nos peurs, nos souffrances psychologiques naissent de la relation que nous entretenons avec notre perception de la vie qui (outre notre constitution biologique et les violences dont nous sommes l’objet) est liée à notre passé. Elles proviennent de notre relation à notre identité, de notre identification à ce passé et aux conditionnements religieux, spirituels, politiques, culturels, familiaux qui nous enchaînent.
Ce n’est qu’en mettant à distance cette identité, en l’étudiant que nous pouvons enfin entrer en relation intime avec nous-mêmes et que nous pouvons nous libérer. Il ne s’agit pas de trouver des remèdes à des symptômes, mais plutôt d’enlever couche après couche les écrans qui sont la cause de tant de souffrances évitables.
Faire face à tout cela n’a rien de négatif. Bien au contraire, accepter de voir notre confusion mentale, notre sentiment d’insécurité et nos multiples inconforts psychologiques, les vivre en conscience, identifier nos réactions automatiques, les observer et les questionner sont une bien belle manière de les traverser.
Chercher à se soustraire à ces souffrances en ayant pour objectif “le bonheur“, c’est éclipser tout un pan de notre réalité et finalement se perdre. C’est augmenter la probabilité qu’un problème psychologique ne trouve pas de résolution et qu’il se répète à l’infini.
Dans ces conditions, il est où le bonheur ?
Grâce à vos donsGaranti sans pub
SuggestionsVous pourriez aussi aimer ...
Lettre à Je
Combien de joie, combien de peine Combien de perte, combien de regret Te ferait changer ?
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse
La surenchère de symboles à laquelle nous assistons a de quoi poser question. (Écrit à la suite des attentats parisiens)
Votre ADN vous veut du bien
Sommes-nous donc condamnés à être les spectateurs sidérés et impuissants de la destruction de l’Homme par l’Homme ?
Société idéale, dis-moi ton nom !
Penser un idéal, n'est-ce pas nécessaire pour se positionner sur ce que l'on veut ou ne veut pas ?
Commentaires (12)